TEINTURE NATURELLE

Un peu d’histoire...

La couleur

Depuis la Préhistoire, de célèbres grottes en sont témoins, l’Homme crée des chefs d’œuvres à partir de pigments minéraux, végétaux et animaux qu’il trouve dans la nature.  Si la couleur est omniprésente dans notre environnement, il n’a pas été facile de l’apprivoiser pour en faire un outil exploitable.
Que ce soit pour la peinture et davantage pour la teinture, la maîtrise de la couleur est complexe ; il aura fallu quelques heureux hasards et beaucoup d’expérimentations pour obtenir des résultats satisfaisants.
 

Les peuples primitifs connaissaient parfaitement leur environnement et avaient donc un grand savoir concernant l’art de la couleur naturelle. Pour ne citer qu’un exemple, la forêt Amazonienne regorge de plantes tinctoriales, arbres, fleurs, insectes, etc. Les Incas et les autres peuples ont aussi appris à utiliser les terres ferrugineuses pour réaliser d’incroyables formes géométriques sur les textiles… Chaque couleur, chaque forme a une origine, une signification. 
Ces techniques sont bien sûr toujours utilisées par les indigènes – et depuis peu par quelques occidentaux désireux de revenir à l’essentiel !  

Aperçu de la teinture en Europe

Procédé mystérieux, nécessitant des préparations parfois peu ragoutantes, la teinture est souvent associée à la sorcellerie. Au fil des siècles, de nombreuses découvertes permirent de perfectionner les techniques et la qualité des étoffes.
Au Moyen Age, peut-être même dès l’Antiquité romaine, l’alun entre en jeu. Il sera utilisé comme mordant et permettra d’étendre la palette de couleurs déjà disponible.
 
De la cueillette à la culture, il n’y a qu’un pas. Le commerce des plantes tinctoriales était une ressource économique importante en Europe. En France, la garance, le pastel ainsi que le réséda étaient cultivés.
La découverte de l’indigo d’Asie puis des ressources tinctoriales sud-américaines augmentèrent les possibles et créèrent des échanges internationaux. Plus on avance dans le temps, plus la qualité des matériaux utilisés s’affine, les techniques se précisent. Il faut cependant avoir conscience que la teinture naturelle n’est pas nécessairement neutre pour l’environnement, l’utilisation de divers composés chimiques polluants était fréquente à l’époque.
 
Le XVIIIe siècle et sa vague industrielle emporteront petit à petit ces pratiques, préférant les teintures chimiques fraichement mises au point, plus efficaces, plus simple à mettre en œuvre, plus résistantes… 

Peinture grotte de Lascaux source : wikipedia
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tissus-peint-motifs-inca-peru
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Battage de la macération d'indigo Credit photo : J. Ciriza Larraona

La teinture aujourd’hui

Finalement, la teinture naturelle n’a jamais été industrialisée. Loin d’être impossible, cette option n’a pas été envisagée à l’époque où la chimie révolutionnait l’univers textile.  
Nous connaissons aujourd’hui les conséquences désastreuses de ces pratiques sur l’environnement. La pollution des sols, des eaux, les maladies causées aux travailleurs de ces usines sont dramatiques. L’industrie textile fait partie des secteurs les plus polluants de notre monde actuel. Il est nécessaire de freiner notre consommation et d’explorer d’autres modes de fabrication durables et écologiques.  
La teinture n’est qu’un rouage de cette grosse machine mais il est temps de s’intéresser à des pratiques ancestrales qui ont fait leurs preuves par le passé. D’autant que les progrès scientifiques permettent de mettre au point des techniques de teinture relativement neutres pour l’environnement.  
Les dernières années ont vu fleurir un intérêt pour la teinture naturelle : des amoureux de la couleur végétale cultivent à nouveau des plantes tinctoriales, des entrepreneurs respectueux de l’environnement se lancent dans la production de textiles, de vêtements teints naturellement… 

L’avenir est plein de promesses ! 

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Teinture naturelle : processus

Quand le naturel appelle le naturel...

La teinture végétale a ceci de bien qu’elle n’accepte de teindre que les fibres naturelles. Entendez les tissus composés de fibres animales – protéiques – comme la laine, la soie, ou de fibres végétales comme le coton, le lin, le chanvre, etc. Tout textile synthétique se verra refuser l’accès à ce monde coloré, peu importe la technique de mordançage ou le bain de teinture utilisé.  

“Coloré n’est pas colorant”

En teinture, observer une couleur ne suffit pas. On peut réaliser des extractions colorées toutes plus belles les unes que les autres mais n’obtenir qu’une teinte légère qui disparaitra au premier lavage de la fibre. Il est donc important de connaître les plantes ayant les propriétés adaptées pour éviter les déceptions !

Le mystérieux mordançage

Il faut savoir que le textile, peu importe sa composition, n’a pas d’affinité particulière avec les pigments naturels. Le mordançage est une préparation indispensable pour fixer la plupart des colorants sur nos fibres : sans lui, pas ou peu de couleur.
Il agit comme une sorte d’aimant : une fois accroché à la fibre le mordant attirera les pigments du bain de teinture et permettra une belle conservation de la couleur. La plupart des mordants sont d’origine minérale, le plus connu étant l’alun.
Alumen en latin : ce n’est pas pour rien que la notion de lumière – lumen – y est associée. Sa composition chimique révèle, accentue les pigments présents dans le bain de teinture.  
Toutefois, il existe des colorants n’ayant pas besoin de mordançage pour imprégner la fibre. C’est le cas de l’indigo, du carthame et des plantes à tannin, colorants particuliers qui demandent de préparer la plante davantage que le tissu.  

On distingue donc deux familles de couleurs : celles obtenues par préparation préalable des tissus et celles obtenues par préparation préalable des plantes.

Et la couleur fut

Le moment tant attendu est arrivé : celui du bain de teinture ! 

L’extraction de la plupart des pigments est relativement simple : il suffira de chauffer la plante dans un volume d’eau. Il faudra toutefois s’armer de patience et parfois faire preuve de précision pour préparer un bain de teinture. Plus on attend, plus on extrait de pigments, il est possible de procéder à une macération sur plusieurs jours, notamment pour les “végétaux durs” comme les écorces, les noyaux d’avocats, etc.
Certains végétaux ont une faible tolérance à la chaleur, il sera donc nécessaire de mesurer la température de l’eau pour respecter le végétal et lui permettre de délivrer son colorant sans le brusquer.
 
Lorsque l’extraction est terminée, on filtre le bain pour éviter que la matière n’entre en contact avec le tissu.

L’immersion peut alors commencer…  

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Des possibilités infinies...

Depuis le Néolithique, les peuples du monde entier sont allés chercher dans la nature des pigments aux teintes uniques, ont exploré différentes méthodes pour accrocher, nuancer, réserver la couleur sur les fibres qu’ils créaient pour leur culte, leur art ou pour se vêtir.  
La liste des éléments tinctoriaux est longue ! Indigo, carthame, réséda, camomille des teinturiers, garance, noyer, cachou, campêche, cosmos sulfureux, coréopsis, bidens, grenade, lichens… pour les végétaux. Cochenille, escargot murex, pieuvre, kermès pour les animaux, sans compter les champignons que l’on ne sait plus dans quelle catégorie mettre.
Les applications sont multiples : tissage de fibres teintes au préalable, batik, shiboris, impression par bois gravé, immersion partielle… 

La teinture naturelle offre déjà une palette de possibilités extraordinaires et réserve encore de belles surprises… Vous l’aurez compris, cette pratique demande beaucoup de patience, une pratique longue et une connaissance du monde naturel coloré qui ne s’acquière pas en une journée.

J’espère que cet aperçu vous a donné envie d’explorer ensemble cet univers foisonnant !